RAC Zéro : une réforme toujours floue, des enjeux de santé majeurs

Les enjeux des négociations en cours avec la Direction de la Sécurité sociale (DSS) et le ministère de la Santé sont multiples – notamment du point de vue de la santé publique. Pourtant les pourparlers se seront jusqu’alors inscrits dans une forme d’unilatéralité au bénéfice du Gouvernement. Mais dans ces périodes de bras de fer, force est de constater que rien n’est joué d’avance… Échec des pourparlers le 3 mai, avec à la clé le départ des syndicats de la table des négociations en cours avec la Direction de la Sécurité sociale (DSS), reprise partielle du dialogue le 16 mai et depuis, finalement, l’expectative. Pour l’heure, aucune publication de la nomenclature technique ni de la nomenclature tarifaire n’a été faite au Journal officiel. La réforme du RAC zéro – et ses éventuelles mesures satellites – semble au milieu du gué…
 
Mais il semble que les instances représentatives de la profession restent très mobilisées et très actives auprès des Pouvoirs publics dans cette période d’attente ; le « calendrier » ayant nettement pris de la flèche par rapport aux annonces initialement faites. Mais faut-il y voir un mauvais présage ? Pas forcément, et le travail de fond mené bien en amont déjà du rapport émis par l’Autorité de la concurrence fin 2016 pourrait porter ses fruits. Si l’ambiance générale n’est plus aussi alarmiste qu’un temps lors de ces négociations, rappelons-le encore, rien n’est acté non plus. En ce sens, des avancées significatives auraient été obtenues sur des points clés de crispation sur la réforme du RAC zéro.
 
« La réhabilitation auditive, une problématique bien plus large que le RAC zéro ! »
Interrogé sur le contenu de la tribune qu’il a adressé au Quotidien du Médecin (cf. lire ci-dessous), Luis Godinho explique : « Aujourd’hui, nous avons l’impression que dans le travail qui est fait sur la réforme du RAC zéro, la question de l’horizontalité, de la transversalité du problème du déficit auditif, n’est pas prise en compte… Pour exemple, Madame Agnès Buzyn présentait le 30 mai, sa Feuille de route intitulée « Grand âge et Autonomie » – un plan d’envergure visant à favoriser le bon vieillissement et le maintien à domicile. À cette occasion, la compensation des déficits sensoriels, et notamment auditifs, pourtant primordiale, n’a pas été évoquée. On peut constater que malheureusement, la question de l’appareillage auditif – qui pourrait trouver sa place dans bon nombre d’autres dossiers gouvernementaux – n’y figure pas suffisamment.  
 
La bonne audition, une nécessité de la « Santé » comme littéralement définie par l’OMS
« Finalement, détaille Luis Godinho, si l’on remonte le fil de cette horizontalité qui caractérise la compensation du déficit auditif, nous pouvons remonter jusqu’à la définition même que donne l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de la Santé… : "La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité…" Au sens de l’OMS, un déficient auditif subit déjà au minimum un impact mental et social – voir physique (accroissement des risques de chutes, etc.). De ce fait, un déficient auditif n’est pas une personne en bonne santé au sens de l’Organisation mondiale de la santé. Voilà pourquoi aujourd’hui je suis frappé du fait que l’on maintienne la question du déficit auditif dans une sorte de "petite affaire" pour les personnes âgées ou un peu moins âgées – mais sans tenir compte de ses répercussions », souligne le président de l’Unsaf.

« La définition de la santé que nous donne à connaître l’OMS est très bien faite dans le sens où quelqu’un qui connaît ce problème mental et social du déficit auditif rentre en fragilité. Le problème est qu’en France, nous avons une espérance de vie très bonne, mais une espérance de vie en bonne santé qui n’est pas si bonne que cela puisqu’elle se situe aux alentours de la soixantaine dépassée. Donc le déficit auditif – entre autres – impacte clairement cette espérance de vie en bonne santé, appuie Luis Godinho.
« Aussi, ajoute le président de l’Unsaf, la tribune que j’ai proposée au Quotidien du Médecin était une façon de montrer que la question de l’appareillage auditif et de son remboursement va bien au-delà du RAC zéro. La santé auditive implique bien d’autres dossiers gouvernementaux. Et surtout, je crois intimement qu’un pays qui veut que sa population soit en bonne santé – au sens de la définition faite par l’OMS – doit mettre parmi ses priorités une bonne compensation du déficit auditif. »
 
Un impact économique considérable
Rappelant que les efforts financiers nécessaires à l’atteinte de l’objectif du RAC zéro étaient censés être partagés par tous les acteurs (Sécurité sociale, professionnels et complémentaires santé), Luis Godinho soulignait dans sa tribune publiée dans les colonnes du Quotidien du Médecin : « Alors que l’investissement dans l’audioprothèse procure un “rendement” exceptionnel pour les fonds publics, il répond en outre à deux des priorités annoncées par le ministère de la Santé : prévention tout au long de la vie et inégalités sociales d’accès à la santé. Rares sont les facteurs facilement “modifiables”, ayant à la fois un effet bénéfique et rapide sur la cognition, la santé mentale, la dépendance, l’espérance de vie en bonne santé, l’emploi, et, au-delà, sur les comptes sociaux… » Le président de l’Unsaf précisait aussi que dans un contexte de vieillissement de la population, un RAC zéro « partagé », avec un investissement public de 80 millions d’euros par an pendant 4 ans, « fera sentir ses effets bénéfiques dans de multiples dossiers gouvernementaux en lien avec les stratégies de prévention liées au “bien vieillir” ».
 
Une réforme qui pourrait se faire… dans le temps
Aussi, il n’y aura probablement pas de « grand soir » pour la réforme du RAC zéro. Si les premières annonces gouvernementales pourraient être faites prochainement ou lors du Congrès de la Mutualité française, rien de définitif ne pourra vraisemblablement être dit. C’est une réforme qui pour être correctement menée, nécessiterait – pour beaucoup d’observateurs – d’être déployée dans le temps. Aussi, les publications au Journal officiel de la nomenclature technique puis après, ou dans le même temps, tarifaire, ouvriront le temps d’autres négociations. Aussi convient-il d’appréhender ces publications au JO comme les fondements d’un bâtiment… De là à spéculer immédiatement sur la taille des pièces des différents appartements, il y a loin de la coupe aux lèvres…

Pour Luis Godinho, « C’est l’accord que nous trouverons qui demeure fondamental. Et la mise en place de cet accord ne peut être que progressive. Cette réforme se fera dans le temps quoi qu’il en soit. On ne passer en un an à un système aussi exigeant que le RAC Zéro – c’est à dire une prise en charge complète d’une offre audioprothétique, en partant d’une liberté tarifaire totale comme actuellement ! Tout le monde comprend bien qu’il faudra trois ou quatre ans pour mettre cette réforme correctement en place. Et d’ailleurs, ne l’oublions pas, l’annonce présidentielle signifiait bien que le RAC zéro serait être mis en place au plus tard en 2022. Nous allons avoir des années d’échanges… Qui plus est, nous avons aussi des annonces qui ont été faites sur les réformes des professions paramédicales. Entre autres nous savons très bien que notre métier doit être réingénié depuis des années, nous savons que le nouveau devis – déjà reporté d’un an – doit être reconsidéré, etc. Finalement, nous rentrons dans des périodes de négociations qui vont demander des mois ou des années d’ajustements en fonction des dossiers – et ce, étant donné l’immensité du chantier global. »
 
« Il faut arriver à un compromis bénéfique pour le secteur et les malentendants »
Pour le président du Syndicat national des audioprothésistes, le point crucial est avant tout d’arriver à un bon accord. « Nous ferons en sorte, avec les autres représentants de la profession, que tout cela soit soutenable économiquement, et que l’on conserve notre capacité à faire un excellent travail pour la satisfaction finale du patient qui, rappelons-le, est très élevée en France. Dans tous les cas, il faut s’attendre à ce que nous ayons plus de contraintes. Mécaniquement, si nous obtenons plus de financement, que cela émane de l’Assurance maladie obligatoire ou complémentaire, cela amènera de nouvelles contraintes. À nous de chercher le bon compromis entre contraintes et financement satisfaisant et efficient. C’est dans l’intérêt de tout le monde ! Et gardons à l’esprit que si les malentendants peuvent-être mieux financé, ils viendront naturellement plus facilement à l’appareillage, et en ce sens, cela sera bénéfique pour la profession ! »

Tribune publiée dans le Quotidien du Médecin le 24 mai 2018

« Reste à charge zéro » en audioprothèse, une opportunité de santé publique

Par Luis Godinho* 

Les premières annonces du gouvernement sur l’amélioration de la prise en charge en optique, dentaire et audioprothèse sont attendues pour le début juin. Dans le texte qui suit, Luis Godinho, chef de file des audioprothésistes revient sur les bénéfices attendus pour les patients dans son secteur d’activité. 

Alors que le Gouvernement travaille à la mise en œuvre du « reste à charge zéro » pour l’optique, les prothèses dentaires et auditives, plusieurs études publiées ces derniers mois viennent éclairer d’un jour nouveau celui de ces trois secteurs le moins connu : l’audioprothèse.
Le déficit auditif est l’une des affections les plus courantes du vieillissement puisque, après 50 ans, une personne sur trois est concernée et une sur deux après 75 ans. Il affecte tous les aspects de la vie d’une personne : son état de santé, sa santé mentale, sa vie sociale et sa qualité de vie en général. On imagine difficilement d’autres conséquences du vieillissement qui touchent tant de gens et ont des effets aussi profonds.

Dans une étude publiée en juillet 2017 dans le Lancet [1], les auteurs estimaient que la prise en charge du déficit auditif était le plus important facteur modifiable susceptible de prévenir la démence. En janvier 2018, une première étude au long cours de l’Inserm [2] confirmait l’existence, chez les sujets rapportant des problèmes auditifs, d’un risque accru de dépression, mais aussi de dépendance et de démence. Elle montrait surtout pour la première fois que, pour les sujets utilisant des appareils auditifs, le sur-risque lié aux « 3 D » (dépression, dépendance, démence) était absent.

Récemment [3], des chercheurs ont également constaté que les personnes âgées malentendantes qui utilisaient des appareils auditifs étaient moins susceptibles d’avoir été admises à l’hôpital ou aux urgences, par rapport à celles non appareillées. De plus, celles qui avaient été hospitalisées et portaient des appareils auditifs avaient des séjours plus courts que celles qui n’étaient pas équipées.
Sont également documentées des baisses de consommation de médicaments et de visites médicales, dès les premiers mois d’équipement chez les retraités. Chez les actifs, l’appareillage est associé à un meilleur taux d’emploi et de plus hauts revenus.
Ces résultats corroborent les études médico-économiques établissant que le rapport entre le coût de l’équipement en audioprothèses et les économies sur les dépenses de santé est de l’ordre de un à dix. C’est un ratio rarissime que l’on ne constate que pour la vaccination.

Un angle mort de notre protection sociale
L’amélioration de la qualité de vie est évidente pour les usagers eux-mêmes puisque, malgré les 1 000 euros par oreille de reste à charge moyen qu’ils connaissent aujourd’hui dans notre pays, plus de deux millions d’entre eux sont équipés. Pourtant, non réévalué depuis 1986, le remboursement de l’audioprothèse pour les adultes est 5 à 7 fois plus faible en France que dans les pays voisins, avec, à la clé, des inégalités d’accès majeures, notamment pour les deux millions de retraités et de chômeurs qui n’ont pas les moyens d’avoir une mutuelle complémentaire.

Les appareils auditifs, bien de nécessité que l’on n’acquiert que par stricte obligation, sont dans un angle mort de notre protection sociale avec 60 % de reste à charge. Les dépenses actuelles de l’Assurance maladie qui leur sont consacrées s’élèvent ainsi à 150 millions d’euros par an. Un rattrapage partiel de nos voisins nécessiterait un investissement de 80 millions d’euros par an pendant 4 ans pour un total de 320 millions, soit une dépense globale de 470 millions d’euros en 2022. À titre de comparaison, en Allemagne les assurances maladie obligatoires ont dépensé 925 millions d’euros en 2016. Accompagné d’un effort complémentaire des professionnels, cet investissement permettrait l’accès sans reste à charge à des équipements et un suivi de qualité pour environ 500 000 à 600 000 malentendants supplémentaires, aujourd’hui économiquement empêchés.

Des économies à la clé
Alors que l’investissement dans l’audioprothèse procure un « rendement » exceptionnel pour les fonds publics, il répond en outre à deux des priorités annoncées par le Ministère de la Santé : prévention tout au long de la vie et inégalités sociales d’accès à la santé. Rares sont les facteurs facilement « modifiables », ayant à la fois un effet bénéfique et rapide sur la cognition, la santé mentale, la dépendance, l’espérance de vie en bonne santé, l’emploi, et, au-delà, sur les comptes sociaux… Dans le contexte, faut-il le rappeler, du vieillissement de la population, cette mesure fera sentir ses effets bénéfiques dans de multiples dossiers gouvernementaux : économies dans les soins de ville et à l’hôpital, maintien à domicile des personnes âgées et moindre recours aux EHPAD, amélioration du taux d’emploi des personnes souffrant d’un handicap auditif…

La pertinence de l’amélioration du remboursement de l’audioprothèse est ainsi largement confirmée et sera décisive, notamment dans les stratégies de prévention liées au « bien vieillir ».

* Président du Syndicat national des audioprothésistes, Membre du Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie.

[1] – Commission « Dementia prevention, intervention, and care », The Lancet, 19 juillet 2017, 62 pages. http://www.thelancet.com/commissions/dementia2017.
[2] – Death, Depression, Disability, and Dementia Associated With Self-reported Hearing Problems: A 25-Year Study, Hélène Amieva, Camille Ouvrard, Céline Meillon, Laetitia Rullier, Jean-François Dartigues, The Journals of Gerontology, 03.01.2018 : https://doi.org/10.1093/gerona/glx250.
[3] – Mahmoudi E, Zazove P, Meade M, McKee MM. Association Between Hearing Aid Use and Health Care Use and Cost Among Older Adults With Hearing Loss. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg. Published online April 26, 2018. doi:10.1001/jamaoto.2018.0273.

Guillaume Bureau