Sur-appareillage, publicités excessives et démographie professionnelle, le SDA fait le point

Le président du SDA a révélé des chiffres qui indiquerait une dérive, au détriment des patients eux-mêmes et des finances sociales. « Le taux d’équipement binaural a progressé très significativement au cours des dernières années, ce qui est un indice de sur-appareillage préoccupant. » La France pourrait très rapidement devenir le pays avec le plus important taux d’appareillage au monde, dépassant le Danemark, dont le taux d’appareillage (53 % en 2018) de la population malentendante était jusqu’alors considéré comme un plafond difficilement atteignable, a précisé le président du SDA. Le constat que les fabricants ont vendu en 2021 plus d’appareils en France (1 690 000 appareils pour 67 millions d’habitants) qu’en Allemagne (1 543 000 appareils pour 83 millions d’habitants), alors que les appareils sont également remboursés Outre-Rhin, confirmerait les inquiétudes.
De plus, les pratiques publicitaires génèreraient aujourd’hui entre 5 et 10% de prestations inutiles en audioprothèse, selon le syndicat. Les pratiques contestables et frauduleuses sont en nombre fortement croissant, selon une dynamique qui pourrait rapidement devenir difficilement contrôlable. Les audioprothésistes, libéraux et enseignes, qui jouent le jeu depuis le début, verraient en effet d’un très mauvais œil un potentiel « retour de bâton » tarifaire si celui-ci devait être la conséquence d’une “trop grande dérive de la dépense, induite par les pratiques commerciales déloyales et contreproductives d’une minorité d’acteurs“. « Au moment où, grâce à l’action du Gouvernement et à l’implication de la très grande majorité des acteurs, le 100% santé en audio rencontre un succès historique avec une hausse de 72% des bénéficiaires en 2021, il est plus que légitime et urgent de mettre en place des règles strictes d’encadrement de la publicité commerciale. »

 

Repositionner la profession dans le champ des métiers de la rééducation

Luis Godinho, au même titre que le rapport de l’IGAS, a rappelé le rôle essentiel de l’audioprothésiste dans le déploiement de cette politique de santé. Le succès de l’appareillage et l’observance dépendent du travail de l’audioprothésiste et non de l’appareil. C’était déjà le constat qu’avait fait l’Autorité de la concurrence (ADLC) en 2016 lors de son enquête sectorielle sur le secteur de l’audioprothèse : « la corrélation entre taux de satisfaction et observance est manifeste. […] Or, la satisfaction du patient, facteur d’observance, dépend en grande partie du savoir-faire de l’audioprothésiste et de son implication dans la réalisation des prestations de suivi. » L’ADLC avait constaté la similitude du métier d’audioprothésiste avec d’autres professions paramédicales du soin et de la rééducation telles que les infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes : « La valeur créée par leur activité, est de 66%. Si les audioprothésistes créent autant de valeur, c’est qu’ils sont à la fois des distributeurs de biens et des prestataires de services de santé. Leur activité n’est pas comparable à celle d’un commerçant qui achète des produits pour les revendre en réalisant une marge. Pour la part relative aux prestations, elle s’apparente davantage à celle d’un infirmier ou d’un masseur-kinésithérapeute qu’à celle d’un opticien, dans la mesure où ce dernier ne fournit pas des services sur une longue durée. Le prix d’une audioprothèse reflète à la fois la valeur de l’appareil et celle du temps passé pour les prestations associées. » Ces constats plaident en faveur du repositionnement de la profession d’audioprothésiste dans le champ des métiers de la rééducation plutôt que dans celui de l’appareillage. Par ailleurs, les audioprothésistes relèvent déjà d’une sous-section du Conseil national des universités (CNU) qui s’intitule « section 91 – Personnels enseignants-chercheurs des disciplines des sciences de la rééducation et de réadaptation ».

 

Eviter l’exemple de l’optique pour la démographie professionnelle

Une augmentation du nombre d’audioprothésistes formés, sans une réforme globale des règles déontologiques et d’installation de la profession, risquerait de favoriser la répartition hétérogène et, dans les zones surdotées, les sur-appareillages déjà présents aujourd’hui. En effet, Luis Godinho a cité le rapport IGAS de 2015 consacré au secteur de l’optique, qui pointait « la dégradation de l’image de la profession, malgré l’escalade des budgets publicitaires et des offres commerciales (les paires offertes), ainsi que le nombre extravagant de points de vente, qui a augmenté de 54 % entre 2000 et 2015… On en dénombre plus de 12 000, soit autant qu’aux USA, 5 fois plus peuplés et 17 fois plus étendus ». Et aussi, « la dégradation du statut des jeunes opticiens, alors que le chômage, jusque-là inconnu, concerne déjà plus de 4000 d’entre eux. » En conséquence, il conviendrait de mener rapidement un travail sur le nombre d’audioprothésistes à former afin de maintenir des prestations initiales et de suivi de qualité. Ce travail devrait être mené par l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), à qui il incombe notamment de proposer au ministre chargé de la santé et au ministre chargé de l’enseignement supérieur « le nombre et la répartition des effectifs de professionnels de santé à former ». De plus, au vu des enjeux majeurs de santé publique, il conviendrait d’étudier la mise en place d’un conventionnement sélectif avec des règles spécifiques pour les zones sur-dotées et pour les zones sous-dotées, comme cela existe pour les infirmiers et les masseur-kinésithérapeutes.
De plus, une récente interview du Président de l’ordre des audioprothésistes du Québec (à retrouver dans notre numéro 261) confirme ce scénario. Il y est indiqué qu’au Québec on dénombre « 514 audioprothésistes, salariés ou indépendants, sur une population de 8 millions d’habitants ». Si on applique le même ratio aux 67 millions de Français on obtient 4305 audioprothésistes. Or, 4400 audioprothésistes sont répertoriés par la DREES donc il ne devrait pas y avoir de déséquilibre flagrant si la profession était régulée comme elle l’est au Québec. Si certains acteurs se plaignent d’un nombre tout à fait insuffisant de professionnels, c’est parce que nous assistons à un « sur-maillage », essentiellement par les chaînes d’optique, qui créent des « corners » dans nombre de leurs 12 000 magasins d’optique, sans aucune nécessité sanitaire.

 

Lucile Perreau