Un accès inégal à la prescription des aides auditives prouvé par les chiffres
L’étude sur la primo-prescription des aides auditives porte notamment sur l’analyse des données entre 2021 et fin septembre 2022, juste avant l’arrêt de la dérogation de primo-prescription par les médecins généralistes, laissant les ORL seuls responsables de cette opération. L’objectif était de déterminer la part des primo-prescriptions établies par les médecins généralistes selon les territoires. « La profession était inquiète de cette fin annoncée de la dérogation, surtout après la recommandation de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) de reporter la date d’application jusqu’à ce qu’un nombre suffisant de généralistes aient suivi le parcours de DPC en otologie. Nous avons souhaité apporter une contribution chiffrée, une analyse objective de la pratique réelle des patients et de leurs parcours, choisis ou subis, explique Richard Darmon, président du Syndicat National des Entreprises de l’Audition (Synea). Notre préoccupation portait principalement sur l’accessibilité aux soins auditifs dans certaines zones géographiques. »
La population des ORL s’intéressant à la surdité diminue
Une situation que souligne également Maher Kassab, fondateur de Galileo Business Consulting, qui produit tous les ans l’étude Audioscope. « Toute la filière connaît des disparités fortes entre les différents territoires Français, sans oublier que la population des ORL concernés par la surdité diminue à cause de la retraite de certains médecins, mais aussi en raison de la spécialisation. Alors qu’il faut de plus en plus de pédagogie pour les patients, par exemple pour expliquer le 100 % Santé, nous courons le risque que de moins en moins de professionnels de santé aient du temps à accorder à l’audition. De plus, à mon sens, la non prise en charge ou la prise en charge tardive peuvent avoir des conséquences aussi graves que de ne pas avoir un bon professionnel. Il faut pouvoir appareiller le plus tôt possible, car toute perte de temps peut être une perte de chance. Cette diminution de l’accès à la primo-prescription va à l’encontre de l’esprit même du 100 % Santé et d’un besoin croissant de plus de suivis. »
Plus de 300 000 données analysées
Veltys a utilisé les données fournies par les audio- prothésistes du Syndicat National des centres Audition Mutualiste (Synam) et du Synea, soit plus de 300 000 données, un nombre suffisant pour une analyse très fine, tant au niveau national que local.
« Le poids des primo-prescriptions de médecins généralistes tourne autour de 20 %, ce qui est en accord avec les chiffres de la CNAM, souligne Arthur Souletie de la société Veltys. Ce chiffre global cache cependant d’importantes disparités dans certaines zones qui n’étaient pas toutes identifiées comme à risque de désertification médicale : une partie de l’Est, la Meuse, le sud de la Lorraine, les Vosges, le sud de l’ex-Limousin, l’ouest des Pyrénées ou encore quelques endroits en Normandie. »
110 000 patients concernés par an
« 20 % de primo-prescriptions par des généralistes, cela représentait plus de 110 000 patients par an. Il ne s’agit pas d’un sujet mineur ne touchant que quelques patients isolés, insiste Richard Darmon. Le deuxième enseignement est la grande diversité des territoires : les chiffres vont de 10 % à 60 % de primo-prescriptions par les généralistes selon la zone. Nous en tirons la conclusion que les parcours patient sont significativement différents selon les territoires. Cela montre de vraies difficultés d’accès aux ORL dans certaines zones. Les patients savent qu’en cas de problème auditif, ils doivent consulter un ORL. S’ils vont voir un généraliste, c’est le plus souvent qu’ils n’ont pas le choix : distance, accessibilité, proximité personnelle du patient, délais des rendez-vous, tarifs, etc. Ce recours au généraliste n’est, le plus souvent, pas choisi, mais subi. »
Une forte inégalité d’accès aux soins
Pour analyser la situation, le Synea a décidé d’observer les zones dans lesquelles le recours aux généralistes dépasse 30 %. « Ces territoires représentent 12 % de la population et 23 % de la superficie de la France. Nous ne sommes pas confrontés à un problème national, mais ces 12 % de la population subissent une vraie inégalité d’accès à la santé auditive. Il faut apporter une réponse dans ces territoires, à ces centaines de milliers de malentendants », complète Richard Darmon.
Le Synea appelle au dialogue
L’étude a également analysé le temps de déplacement en voiture pour rejoindre l’ORL le plus proche, selon le lieu d’habitation. « Nous avons utilisé les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et du recensement, en concentrant notre analyse sur les plus de 75 ans, qui représentent une part significative de la patientèle des audioprothésistes et qui peuvent rencontrer des difficultés pour se déplacer », explique Arthur Souletie. Il en ressort que 16 % des 75 ans et plus habitent à plus de 30 minutes en voiture de l’ORL le plus proche, alors que seuls 3 % d’entre eux sont à plus de 15 minutes en voiture du généraliste le plus proche.
« Des temps de parcours de plus de 30 minutes représentent une réelle difficulté d’accès, surtout pour des patients âgés. Nous sommes conscients, bien sûr, que d’autres critères de renoncement à consulter un ORL existent, comme la densité médicale, qui conduit à des délais de rendez-vous élevés, ou des questions financières ou psychologiques, souligne Richard Darmon. Nous souhaitons maintenant travailler avec l’ensemble des acteurs de la filière pour trouver les meilleures solutions. La réforme du 100 % Santé est un grand succès en matière d’accès aux soins des malentendants. Il ne faudrait pas que qu’il y ait des régressions dans ce domaine et que des inégalités se forment entre les territoires. »
Obtenir un rendez-vous chez l’ORL en moins d’un mois devient marginal
Par ailleurs, le Syndicat des audioprothésistes (SDA) a publié récemment un sondage sur le délai d’obtention d’un rendez-vous chez le médecin ORL. Il en ressort que l’obtention d’un rendez-vous à moins d’un mois devient significativement marginale. Ce délai concerne désormais seulement 8 % des rendez-vous, contre 48 % en 2018. À l’inverse, les rendez-vous dont le délai d’obtention dépasse les 3 mois représentent aujourd’hui 61 %, contre 15 % en 2018. Pour 10 % de ces derniers, les 5 mois d’attente sont même dépassés. Les patients des petites agglomérations sont doublement pénalisés : la possibilité d’obtenir un rendez-vous dans une petite ville en moins de deux mois est fortement impactée, passant de 42 % à 28 %. Enfin, plus le centre auditif est éloigné du médecin ORL, plus le délai augmente.