La lutte contre les fraudes devrait s’intensifier en 2024

En juillet dernier, l’Assurance Maladie a transmis un rapport au ministère de la Santé au sujet de l’évolution de ses charges et produits au titre de l’année 2024. Toute une partie du rapport est consacrée à la lutte contre la fraude qui, est-il précisé, sera intensifiée en 2024, dans le prolongement des actions engagées à la suite de la crise sanitaire de la Covid. L’organisme continuera à en faire une priorité pour les années à venir, avec, entre autres, le déploiement d’une « stratégie de contrôle pédagogique, graduée et ciblée, de la facturation par les professionnels de santé, avec une approche globale par profession ». A priori, les contrôles de la facturation devraient également être renforcés, afin de limiter l’incidence financière des fraudes sur ses comptes. Des outils d’aide à la décision, voire de contrôle, censés bloquer à la source dans les logiciels métier, devraient être développés pour participer à cette stratégie. Des parcours de formation initiale et continue des professionnels de santé sur les règles encadrant leurs relations avec l’Assurance Maladie seront également proposés, en clarifiant l’interprétation des nomenclatures et en favorisant la lisibilité des normes de facturation, en particulier celles sujettes à interprétation ou non pertinentes et coûteuses. Le dispositif de contrôle d’activité par profession, pour détecter les comportements atypiques, sera progressivement étendu, pour permettre la mise en place d’actions graduées de gestion du risque.

Une réforme qui a facilité l’équipement et tenté les fraudeurs

Par ailleurs, le rapport met en avant que la mise en place du 100 % Santé a permis à un grand nombre d’assurés de pouvoir acquérir plus facilement du matériel auditif. Cependant, il est aussi constaté l’apparition de pratiques frauduleuses. Le nombre des sociétés d’audioprothèse adhérentes à l’accord national avec l’Assurance Maladie s’est fortement accru au cours des trois dernières années : ainsi, fin 2022, sur plus de 6 700 sociétés d’audioprothèses, plus de 1 500 ont été créées entre 2020 et 2022, soit près de 25 % de nouvelles sociétés en trois ans, dont un tiers en Île-de-France. En 2022, l’Assurance Maladie a pris en charge près de 400 millions d’euros de dépenses d’audioprothèse, sur un montant total facturé de 1,6 milliard d’euros. L’organisme a ainsi mis en exergue des manquements et pratiques non conformes, depuis quelques mois : exercice illégal de la profession d’audioprothésiste, exercice interdit d’une activité itinérante, absence de suivi obligatoire du bénéficiaire appareillé, facturation de matériel différent de celui fourni, ordonnances de complaisance ou établissement de fausses ordonnances. Des signalements d’assurés ont également été reçus par l’Assurance Maladie concernant des pratiques de démarchage et de déplacement à domicile.

Plusieurs contrôles en cours

L’Assurance Maladie souligne que plusieurs contrôles de sociétés d’audioprothèse sont en cours sur 2023. Des actions pénales ont été engagées en cas de constat avéré, lorsque les sociétés emploient du personnel non diplômé, font usage de fausses ordonnances ou facturent des matériels non fournis. D’ici la fin 2023 et sur l’année 2024, ces contrôles seront renforcés, notamment en cas de livraison d’audioprothèse aux bénéficiaires de la Complémentaire Santé Solidaire, qui bénéficient d’une prise en charge intégrale par l’Assurance Maladie, ainsi qu’aux personnes fragiles (en particulier celles en Ehpad ou les jeunes adultes). Les résultats des différents contrôles engagés ou à venir seront analysés courant 2024 pour proposer, si besoin, la mise en place de nouveaux mécanismes de régulation des dépenses d’audioprothèse. Parmi les propositions pour renforcer les actions de contrôle et de lutte contre la fraude qui ont été rendues publiques, celle numéro 27 préconise justement de mettre en œuvre des contrôles des prescriptions et fournitures d’audioprothèses.

Des contrôles attendus par la profession

Cette politique de contrôle est très attendue par les différents syndicats représentant les audioprothésistes, qui souhaitent eux aussi éliminer les fraudes qui ternissent toute la profession. « Chacune d’entre elles représente une perte de chance pour la personne appareillée, dévoie de manière inacceptable une réforme nécessaire et solidaire, et porte atteinte à l’image d’une profession qui est, dans sa très grande majorité, constituée de professionnelles et de professionnels de santé probes et investis », regrette Laurent Eveillard, président du Syndicat National des centres Audition Mutualiste (Synam), qui réclame des sanctions adaptées et dissuasives.

« Il faut que la CPAM, la DGCCRF, mais également les ARS se donnent les moyens de freiner les fraudeurs sans gêner les audios, souligne Brice Jantzem, président du Syndicat des audioprothésistes (SDA). La principale mesure à mettre en place selon nous est de lier les remboursements à l’audioprothésiste individuellement et non pas à un établissement, ce qui permettra de contrôler plus rapidement le nombre d’appareils fournis et de voir les distorsions statistiques. Il peut également être utile de séparer les deux activités, audio et optique, avec des entrées physiques distinctes et des comptabilités séparées, pour que le patient soit sûr d’être reçu par un audioprothésiste. Enfin, nous sommes pour la création d’un Ordre, qui permettra un contrôle plus fin et sera à même de déterminer plus rapidement si les signalements relèvent d’une pratique normale ou non. »

Des règles nécessaires, mais à réfléchir ensemble

Les syndicats réclament des règles, spécialement celles qui relèvent de l’exercice professionnel. « Il faut qu’elles soient précisées pour en garantir l’opposabilité et mieux identifier certaines dérives », insiste Laurent Eveillard. Richard Darmon, président du Syndicat National des Entreprises de l’Audition (Synea), complète : « La mise en place de règles professionnelles permettra d’encadrer notre exercice et de fixer des normes pour des discussions concrètes. Un décret en Conseil d’État permettra de les fixer officiellement. » Laurent Eveillard souligne également que ces règles doivent pouvoir être connues et comprises des audioprothésistes, dont la formation doit évoluer pour permettre d’intégrer les normes qui touchent à l’audiologie, afin d’aider les professionnels à mieux appréhender leur exercice et leur écosystème.

Tous les syndicats s’accordent à dire que les autorités doivent être alertées dès qu’une véritable fraude est suspectée. « Nous recueillons tous des témoignages de nos adhérents ou de patients, que nous transmettons lorsque les doutes semblent étayés. Toutefois, nous avons aussi un rôle de médiateur pour remettre sur le droit chemin des professionnels qui ne respecteraient pas les bonnes pratiques par inattention ou manque d’informations, explique Brice Jantzem. Cela ne doit pas remettre en cause les bienfaits d’une loi qui a amélioré l’accessibilité des patients aux aides auditive et fait reculer le renoncement aux soins. Même si on constate un fort accroissement des fraudes, le secteur de l’audioprothèse est loin d’être à la dérive et les fraudes restent marginales. »