Du rififi autour des téléconsultations ORL
La situation démographique des ORL en France métropolitaine est connue : outre l’existence de zones qualifiées de « déserts médicaux », les ORL qui s’intéressent à la prescription des aides auditives sont de moins en moins nombreux. Selon les chiffres de l’Assurance Maladie, en 2023, seules 59 % des aides auditives ont été prescrites par un ORL, le reste émanant d’un médecin généraliste, pas toujours formé à l’audiologie et théoriquement pas autorisé à prescrire la première aide auditive. Sans compter que plus de la moitié des prescriptions ORL sont rédigées par des médecins de plus de 60 ans, les jeunes s’intéressant davantage à la chirurgie. Les patients sont donc, selon les régions, confrontés à des délais allongés pour les rendez-vous et parfois à de longues distances à parcourir pour voir un spécialiste.
La situation inquiète. « Dans ma région, il n’y a que deux ORL. L’un d’entre eux a 72 ans et devrait prendre bientôt sa retraite, le second a déjà 67 ans. Je me demande comment je vais pouvoir continuer mon activité dans mes quatre centres si je ne peux pas faire de téléconsultations ORL », se désole une audioprothésiste indépendante exerçant en Seine-Maritime.
Un test chez Afflelou Acousticien
Des expérimentations, voire des mises en place, sont actuellement effectuées par certaines enseignes, à l’image d’Afflelou Acousticien qui réfléchit à trouver un cadre en accord avec la loi et la convention avec l’Assurance Maladie, en adaptant le système, comme l’enseigne l’a déjà été fait pour l’optique il y a deux ans, avec succès.
« En optique, la téléconsultation est un vrai succès. Nous avons 200 magasins qui se sont engagés sur la solution. En 2024, nous avons réalisé 25 000 téléconsultations. Cela répond à un vrai besoin. Nous avons fait trois ans de travail pour développer une solution 100 % fiable et légale, explique Anthony Afflelou, P.-D.G. d’Afflelou Groupe. Pour l’audio, nous travaillons sur la même logique que pour l’optique. Nous testons des solutions pour une téléconsultation ORL dans un cadre 100 % règlementaire. Notre solution ne nécessite pas l’intervention de l’audioprothésiste. Le patient est 100 % autonome et fait toutes les manipulations. »
Le SNORL pose les bases
De son côté, le Syndicat national d’ORL (SNORL) ne s’y oppose plus. Le syndicat a en effet déposé au ministère de la Santé une demande d’article 51 pour une expérimentation de télémédecine en otologie. Cette demande est en attente de validation. Récemment consulté par des ORL et des mutuelles, le syndicat a rappelé les principes généraux devant régir selon lui les téléconsultations : « Un bilan préalable comprenant notamment un examen otologique et audiométrique tonal (en voie aérienne et osseuse) et vocal (en champ libre ou au casque) défini comme suit est obligatoire, et doit être réalisé par le médecin prescripteur, a précisé Nils Morel, président du SNORL. Ainsi, si les règles de la téléconsultation (parcours de soins, territorialité, seuil d’activité de 20 %) sont respectées, une primo-prescription de prothèse auditive à distance est possible si l’ORL fait interrogatoire, otoscopie, audiométrie tonale (aérienne et osseuse) et audiométrie vocale avec des outils de télémédecine. »
Le SNORL pose ainsi les bases sur lesquelles pourrait reposer une téléconsultation ORL réalisée chez les audioprothésistes, et autorisée par la loi.
Deux sociétés en France, Shoebox et Otoremote
Ces recommandations sont justement mises en pratique par deux sociétés proposant des plateformes de téléconsultation pour l’audiologie en France. La plus ancienne et la plus utilisée, Shoebox, nouveau nom de la société Koalys rachetée en 2021 par WSA, propose un audiomètre connecté et tout le matériel nécessaire à ses audioprothésistes abonnés. Elle revendique la réalisation de 12 000 consultations d’ORL depuis janvier dernier en travaillant avec plusieurs centaines de centres. « Nous respectons la législation, car notre plateforme permet au médecin spécialiste de réaliser lui-même en direct tous les tests menant à son diagnostic. De plus, nous ne mettons pas les audioprothésistes en situation de compérage, car seul le créneau est réservé. L’audioprothésiste ne connait pas le nom du médecin lorsque le rendez-vous est réservé. L’ordonnance est envoyée au patient qui dispose d’un code par SMS qu’il peut donner à l’audioprothésiste chez qui la téléconsultation a été réalisée ou à un autre de son choix. Une note lui est remise pour l’informer de sa liberté de choix », nous détaille Thibault Martin, directeur général de Shoebox. Celui-ci précise également qu’une vérification est effectuée pour s’assurer que l’ORL possède bien un diplôme valide, qu’il est inscrit à l’Ordre et qu’il travaille bien en France. Quelques différends avec les CPAM sont malgré tout apparus dans quelques cas, mais Thibault Martin nous affirme que cela concerne moins de 2 % des téléconsultations réalisées et que les problèmes se résolvent majoritairement lorsque Shoebox envoie les preuves de la réalisation des actes par le médecin à la CPAM.
Des tests réalisés en direct à distance par les ORL
La seconde société, Otoremote, a été lancée sur le marché il y a un an, après trois ans de développement. Cette autre solution a pour ambition de répondre aux problématiques d’accessibilité aux soins, particulièrement dans les déserts médicaux.
L’objectif de la société est également de laisser l’intégralité du diagnostic à l’ORL. En connexion directe avec le patient par visioconférence, l’ORL prend la main sur les appareils et réalise tous les examens. Le patient est libre de choisir le rendez-vous qui lui convient le plus dans une liste déroulante présentant les ORL partenaires. Il est également libre de choisir d’être appareillé par l’audio chez qui il a réalisé la téléconsultation ou chez un autre. La solution est, selon Otoremote, installée dans une cinquantaine de centres. Comme pour Shoebox, les audioprothésistes qui veulent utiliser la plateforme paient un abonnement auprès de la société.
Hugo Venturelli, fondateur d’Otoremote, met également en avant son agrément par le Centre national de dépôt et d’agrément ainsi que le stockage des données en France.
MaQuestionMedicale suspend son service
De son côté, la société spécialisée en télémédecine MaQuestionMedicale, qui regroupe de nombreux médecins généralistes et spécialistes, dont des ORL et des généralistes formés à l’otologie, a suspendu son service depuis le 1er octobre 2024. En effet, la dizaine de médecins qui ont procédé à des ordonnances de primo-prescription par téléconsultation a reçu une mise en demeure de la CPAM du Rhône, accompagnée d’une amende et d’un avertissement.
Selon le docteur Jean Tafazzoli, fondateur du service, la seule explication donnée était : « Les conditions ne sont pas remplies. » Pourtant, le médecin assure se conformer à la loi : « Notre service permet de faire l’anamnèse, l’examen clinique par otoscope connecté et l’audiogramme en ligne, le médecin pouvant prendre la main sur tout le matériel en direct et restant seul décisionnaire de son diagnostic. Nous travaillons avec des ORL ou des médecins généralistes ayant suivi la formation DPC à l’otologie et nous incluons une note à l’ordonnance recommandant au patient de faire un contrôle dans l’année en présentiel chez un ORL. »
MaQuestionMedicale a demandé un rendez-vous de conciliation et a donc choisi de suspendre son service en attendant de savoir s’il serait nécessaire d’aller jusqu’au tribunal. Jean Tafazzoli signale également avoir déposé une demande d’article 51 en 2022 pour laquelle il n’a, à ce jour, reçu aucune réponse.
Recruter des ORL reste compliqué
Le docteur Laurent Schmoll, ORL et fondateur de la société spécialisée en télémédecine pour le secteur médicosocial TokTokDoc, a testé la téléconsultation pour appareiller des résidents en Ehpad, avec l’assistance d’infirmières spécialisées. Pendant une période de 3 ans relative à une expérimentation article 51, les oreilles de plus de 12 000 résidents ont été examinées et 68 % présentaient des pathologies des conduits auditifs, dominées à 98 % par de « simples » bouchons de cérumen. Quelques patients ont également été appareillés.
Néanmoins, Laurent Schmoll a totalement abandonné la téléconsultation otologique en vue d’une primo-prescription d’audioprothèses : « Peu de bénéficiaires en Ehpad étaient intéressés et seuls 5 % d’entre eux ont choisi de se faire appareiller à la suite de la téléconsultation, alors qu’une large majorité des patients testés était malentendante. De plus, l’activité est très chronophage, car ce ne sont pas des examens faciles à pratiquer à distance et cela demande une grande organisation pour que tout le monde soit à l’heure et ne perde pas de temps. De plus, elle est mal rémunérée, car il n’y a pas de cotation pour l’audiogramme et son interprétation. Seule la téléconsultation est rémunérée, ce qui n’est guère motivant aujourd’hui. »
Le médecin pense que, si la téléconsultation était autorisée, trouver des ORL disponibles et volontaires pour répondre aux besoins sera peut-être difficile.