Interview exclusive d’Agnès Buzyn sur la santé auditive donnée à la JNA
ASSOCIATION JNA
L’Association Journée nationale de l’Audition a pu rencontrer la ministre des Solidarités et de la Santé afin d’aborder divers sujets en lien avec la santé auditive. Une occasion de faire le point sur les grands plans gouvernementaux en santé qui émergent depuis ce printemps. Trois thématiques ont notamment été abordées : un retour sur les modalités du reste à charge zéro en audioprothèse ; le plan d’action des Établissements d’Hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) et le développement de la télémédecine. Nous reproduisons cet entretien en exclusivité.
Le reste à charge zéro en audioprothèse
Association JNA : Annoncé lors de la campagne présidentielle, le reste à charge zéro en audioprothèse est désormais acté. Ce grand changement marque une volonté de rendre accessibles les aides auditives à tous et s’inscrit dans une nouvelle philosophie de santé publique que vous portez. Laquelle ?
Agnès Buzyn : Nous sommes partis d’un constat simple. En France, beaucoup trop de personnes continuent de renoncer à des soins pourtant essentiels et ne peuvent pas s’équiper en prothèses auditives, mais aussi en lunettes et en prothèses dentaires.
En ce qui concerne l’audiologie, 6 millions de personnes souffrent de difficultés auditives en France, mais dans les faits, seulement 70 à 75 % des personnes qui devraient être appareillées, le sont réellement. Le prix est la première cause de ce non-recours aux soins. En effet, les frais à la charge de l’assuré restent considérables puisqu’il faut compter en moyenne 850 euros de reste à charge par oreille. Cette situation de non-recours n’était pas tolérable. Avec le « 100 % santé », nous avons voulu permettre aux personnes qui en ont besoin d’avoir accès à ces soins fondamentaux, sans aucun reste à charge financier.
Association JNA : Comment ce reste à charge zéro sera-t-il financé au niveau macroéconomique ?
Agnès Buzyn : L’assurance maladie prendra une part importante de cette prise en charge. En ce qui concerne les aides auditives, la base de ce remboursement par la Sécurité sociale va être doublée de 200 euros à 400 euros en 2021. Naturellement, l’objectif de cette réforme est qu’il n’y ait pas d’effets sur les tarifs des assurances complémentaires. Pour éviter toute inflation, la mise en œuvre du 100 % santé se fera de manière progressive sur 3 ans, et le niveau de prise en charge par les complémentaires sera plafonné à 1700 euros et renouvelable au bout de 4 ans, minimum. Un suivi très régulier de la mise en œuvre de cette réforme est naturellement prévu pour suivre l’évolution des prix et effectuer des ajustements, si besoin.
Je tiens à saluer les professionnels qui se sont engagés dans cette réforme à nos côtés, ainsi que les assurances complémentaires. C’est une belle victoire, un beau succès pour l’accès aux soins, dont je suis très fière.
Association JNA : Concrètement quand sera-t-il effectif ?
Agnès Buzyn : Il y aura en moyenne 200 euros de frais en moins par oreille appareillée, dès le 1er janvier 2019. L’année suivante, nous passerons à 250 euros avant d’atteindre un remboursement total, au 1er janvier 2021.
Association JNA : Est-ce qu’il concernera tous les appareils auditifs ?
Agnès Buzyn : Effectivement, l’offre « 100 % santé » répond à l’ensemble des besoins et des préférences en matière de confort, avec un remboursement complet sur les 3 grands types d’aides auditives : les contours d’oreille dits « classiques », ceux « à écouteur déporté » et les « intra-auriculaires ».
Mais le patient demeure libre de son choix. Il pourra donc demander une aide auditive, non comprise dans l’offre « 100 % santé » et dont le taux de remboursement restera défini par son contrat d’assuré.
Association JNA : Concernera-t-il les BICROS qui sont pour les personnes ayant une cophose complète sur une oreille à cause d’un neurinome de l’acoustique ou la maladie de Menière ?
Agnès Buzyn : Oui, le panier 100 % santé intègre les aides auditives compatibles avec les dispositifs CROS/BICROS. Je rappelle cependant qu’un patient perdant brutalement l’ouïe sur une oreille devra néanmoins consulter un ORL avant de s’appareiller pour écarter toute autre cause pathologique.
Association JNA : Ainsi que les appareils spécifiques aux acouphéniques ?
Agnès Buzyn : Oui. Les aides auditives du panier « 100 % santé » bénéficient de l’option « anti-acouphène ».
Association JNA : Est-ce qu’il comprendra à la fois l’acquisition des audioprothèses et le suivi audioprothétique ?
Agnès Buzyn : Effectivement, les tarifs incluent la vente de l’aide auditive, les prestations de réglage la première année, mais aussi les prestations de suivi durant les quatre années suivantes.
Les audioprothésistes se sont également engagés à faciliter le changement de professionnel réalisant le suivi d’un patient en cas de déménagement ou si ce dernier souhaite changer d’audioprothésiste.
Association JNA : Comment sera évalué le suivi des patients et le bon usage des aides auditives ?
Agnès Buzyn : Il est prévu que soit développée, en lien avec les associations de patients et les professionnels de santé (ORL, audioprothésistes), une enquête de qualité, qui sera renseignée lorsque les assurés le souhaitent et qui permettra de s’assurer que l’aide auditive réponde pleinement à leurs besoins.
Association JNA : Est-ce que ce reste à charge zéro sera accessible à tous ou l’accès restera-t-il soumis aux revenus et aux couvertures individuelles de santé qui en découlent ?
Agnès Buzyn : Le 100 % santé sera garanti à tous les assurés qui bénéficient d’un contrat dit « responsable », soit aujourd’hui plus de 95 % des contrats souscrits sur le marché de la complémentaire santé. Les garanties minimales des contrats responsables seront alignées sur le panier « 100 % santé » et les autres bénéficieront des tarifs opposables et des revalorisations des remboursements (aide auditive, soins conservateurs, lunettes 100 % santé).
Le plan d’action Établissement d’Hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD)
Association JNA : Le plan d’actions pour les EHPAD : quelles en sont les mesures et le calendrier pour toutes les mettre en œuvre ?
Agnès Buzyn : Aujourd’hui, la France compte 1,5 million de personnes âgées de 85 ans et plus. Elles seront 4,8 millions d’ici 2030. Près de 760 000 personnes sont accompagnées à domicile par un service d’aide et d’accompagnement et plus de 600 000 personnes vivent en EHPAD. Face à ces enjeux démographiques, j’ai présenté une feuille de route Grand âge et autonomie le 30 mai 2018 pour améliorer la qualité de vie des personnes âgées, à domicile comme en établissement, et pour mieux prévenir la perte d’autonomie.
Pour y parvenir, nous allons dans un premier temps augmenter le nombre de soignants auprès des résidents grâce à un effort financier de 360 millions d’euros déployés entre 2019 et 2021, dont 125 millions d’euros dès 2019 pour faire en sorte que tous les EPHAD disposent d’une permanence d’infirmières de nuit et pour améliorer l’offre d’accompagnement et la prévention.
Enfin, à partir de 2019, nous investirons tous les ans au moins 100 millions d’euros pour moderniser et rénover les établissements. Au-delà de ces mesures de court terme, une réflexion sur la prise en charge de la perte d’autonomie est annoncée pour proposer une réforme des organisations et des financements et un projet de loi sur la dépendance en 2019.
Association JNA : Le coût de ces établissements pour la personne ou les familles est souvent évoqué. Est-ce que toutes les personnes âgées en situation de dépendance pourront avoir accès à ces établissements ?
Agnès Buzyn : L’hébergement dans les EHPAD est principalement financé par les personnes elles-mêmes et leurs familles. En moyenne, le tarif se situe aux alentours de 1950 € par mois. Cet effort financier dépasse souvent leurs ressources disponibles, ce qui les amène à solliciter leurs obligés alimentaires ou l’aide sociale à l’hébergement des départements. Cette aide peut intervenir pour couvrir tout ou partie des frais d’hébergement des résidents et, le cas échéant, une partie du tarif dépendance, en plus de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Ce dispositif vise à garantir une accessibilité financière des EHPAD pour environ 120 000 personnes pour un coût de 1,3 milliard d’euros à la charge des départements. Mais il existe certains freins qui conduisent de nombreuses personnes à ne pas recourir à cette aide, notamment en raison du recours sur succession et de l’appel aux obligés alimentaires. C’est pourquoi une évaluation de ce dispositif est engagée et des propositions doivent être faites, dans le cadre de la réflexion sur la perte d’autonomie qui est lancée, pour garantir l’accès à un établissement aux personnes âgées qui le souhaitent.
Association JNA : Depuis le lancement de ce plan d’action, quelles sont les améliorations constatées ?
Agnès Buzyn : Plusieurs mesures de la feuille de route Grand âge et autonomie sont mises en œuvre en 2018.
Pour pallier à certains effets de la réforme de la tarification des EHPAD, le ministère s’est engagé à ce que les ressources financières des établissements soient maintenues à leur niveau actuel en 2018 et 2019, grâce à une enveloppe de 47 millions d’euros, en attendant que les fédérations qui représentent les EHPAD et l’Assemblée des départements de France rendent les conclusions de leurs travaux.
De plus, afin de limiter les hospitalisations en urgence évitables et pour sécuriser les prises en charge des résidents, l’astreinte infirmière de nuit en EHPAD a été généralisée cette année. Enfin, des moyens ont été alloués aux agences régionales de santé (ARS) pour soutenir les organisations mises en place avec les professionnels de santé et les hôpitaux de leurs territoires.
Association JNA : Comment contribuent-elles à améliorer l’accompagnement de nos aînés en situation de dépendance dans la bienveillance et la dignité ?
Agnès Buzyn : En plus de notre action globale, une nouvelle stratégie nationale de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des personnes en situation de handicap est engagée. Ces travaux s’articuleront avec ceux portant sur les questions relatives à la qualité de vie au travail des professionnels et sur le renforcement de l’effectivité de la participation des usagers. Cette stratégie se traduira dans un plan d’action pluriannuel qui concernera l’ensemble du secteur social et médico-social, notamment les EHPAD. Son adoption est prévue au premier semestre 2019.
Association JNA : Ces mesures ont-elles un retentissement sur l’activité des professionnels qui travaillent en EPHAD ?
Agnès Buzyn : Concernant la stratégie nationale pour la qualité de vie au travail (QVT) dans les établissements médico-sociaux, elle sera soutenue par un financement de 16 millions d’euros pour accompagner les établissements. Ces crédits vont permettre notamment de financer des équipements pour soulager les professionnels, d’améliorer les locaux et de mieux accompagner les démarches de prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS). Toutefois, bien que les échanges entre les membres de la commission nationale QVT dans les établissements médico-sociaux ont révélé une vraie prise de conscience sur ce sujet, il est encore trop tôt pour évaluer les effets de cette stratégie lancée en juin dernier sur l’activité des professionnels en EHPAD.
Le développement de la télémédecine
Association JNA : Pourquoi avoir développé la télémédecine et la télé-expertise ?
Agnès Buzyn : En développant la télémédecine, nous apportons des réponses essentielles au vieillissement de la population, à l’augmentation des maladies chroniques et des problématiques d’accès aux soins que rencontrent les personnes vivants dans les zones sous-denses et qui souffrent d’un déficit de médecins.
Association JNA : En quoi cela consiste ?
Agnès Buzyn : La télémédecine est un recours précieux pour simplifier l’accès à un médecin pour les personnes qui rencontrent des problèmes de mobilité, tout en évitant des déplacements et des passages aux urgences inutiles. Cependant, si la téléconsultation permet de renouveler une ordonnance ou d’éviter un déplacement inutile, un rendez-vous en cabinet sera obligatoire en cas de pathologies complexes, graves ou qui nécessitent un examen approfondi.
Association JNA : Comment concrètement s’effectue la prise en charge de la télémédecine ?
Agnès Buzyn : La télémédecine s’inscrit dans un parcours de soins. Le patient qui a recours à la télémédecine doit donc le faire par le biais de son médecin traitant qui dispose de son dossier médical et qui connaît ses antécédents médicaux. Si un patient rencontre des difficultés pour désigner un médecin traitant ou que ce dernier n’est pas en mesure de se rendre disponible dans un délai compatible avec l’état de santé du patient, le principe sera de s’appuyer sur les maisons de santé, des centres de santé, des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui pourront ainsi prendre en charge le patient et lui permettre d’accéder à un médecin par le biais notamment de la téléconsultation. Dans tous les cas, la téléconsultation se déroulera comme une consultation dite « classique », en débutant par une prise de rendez-vous. Le médecin enverra au patient un lien pour l’inviter à se connecter sur un site ou une application sécurisée. Si un patient n’a pas accès à Internet ou qu’il ne maitrise pas suffisamment les outils informatiques, il pourra être aidé par un professionnel de santé équipé comme un pharmacien ou une infirmière. Il pourra également se rendre dans une cabine de téléconsultation, actuellement en cours de déploiement dans les pharmacies, les maisons de santé et les lieux publics. Le médecin interrogera le patient de la même manière qu’en consultation présentielle. Il pourra notamment demander au patient de montrer son corps, notamment en cas de plaies ou de boutons, via la caméra de l’ordinateur ou de la tablette, pour l’examiner. À l’issue d’une téléconsultation, le médecin rédigera un compte rendu qu’il archivera dans le dossier du patient. Il pourra ensuite établir une prescription qui sera transmise au patient sous format papier ou électronique.
Association JNA : Comment garantir la qualité de la prise en charge ?
Agnès Buzyn : La télémédecine est une pratique médicale à part entière. Elle est donc soumise aux mêmes règles qu’une consultation en cabinet médical. Sur le plan technologique, la téléconsultation devra être réalisée dans des conditions techniques satisfaisantes, via une très bonne résolution d’image et une connexion Internet sécurisée, afin de garantir au patient l’accès à des soins de qualité et le respect de la confidentialité de ses données médicales. J’ai également saisi la HAS pour "définir les situations cliniques, les champs et les publics pour lesquels les actes de téléconsultation et de télé-expertise devraient être exclus" et je lui ai demandé d’élaborer "un guide sur le bon usage et la qualité des pratiques de téléconsultation et de télé-expertise", incluant des travaux spécifiques sur "le bon usage des examens d’imagerie médicale".
Association JNA : Ces solutions permettent-elles un maintien des patients âgés dans le parcours de santé et de lutter contre leur mise à l’écart ?
Agnès Buzyn : Oui, elles évitent, surtout en EHPAD, des déplacements souvent inutiles et susceptibles de provoquer une certaine désorientation ou une confusion chez les patients.
Association JNA : Quels professionnels de santé, et quels types d’actes sont concernés par la télémédecine ?
Agnès Buzyn : Les téléconsultations peuvent être réalisées dans le cadre du parcours de soin et sont prises en charge par l’Assurance maladie pour tous les patients sur l’ensemble du territoire. Elles peuvent être réalisées par tous les médecins et pour les actes et consultations externes à l’hôpital.
Association JNA : Ces actes à distance seront-ils cotés comme ceux réalisés en présentiel ? Et sur quelles bases seront-ils pris en charge par la Sécurité sociale ?
Agnès Buzyn : La téléconsultation est facturée par le médecin au même tarif qu’une consultation en présentiel. Les majorations peuvent s’y ajouter dans les mêmes conditions. Les modes de paiement restent les mêmes que pour une consultation en face à face.
Dans les faits, cela veut dire qu’elle sera facturée par le médecin au tarif de 25 euros comme pour une consultation en présentiel. Le médecin enverra la feuille de soins directement à l’Assurance maladie par télétransmission, sans utiliser la carte vitale.
Comme pour une consultation classique, la téléconsultation sera prise en charge à 100 % soit 70 % par l’Assurance maladie et 30 % par la complémentaire santé.
Concernant le tiers payant, il sera appliqué entièrement pour les patients y ayant droit. Pour les autres patients, il sera réalisé par le médecin sur la part obligatoire.
Association JNA : Quelle est la place de la télé-audiologie dans votre plan de développement de la télémédecine ?
Agnès Buzyn : La télé-audiologie a toute sa place dans ce dispositif. Naturellement, elle nécessite aussi du personnel formé et un matériel adapté pour réaliser des examens de qualité. La télé-audiologie permettra de réaliser pratiquement tous les tests de l’audiologie conventionnelle pour les besoins du bilan des personnes malentendantes par l’ORL, de la même façon qu’en ophtalmologie ou en dermatologie.
Association JNA : La désertification médicale et l’une de ses réponses via la télémédecine s’accompagne d’un changement de culture de la santé pour les patients : le passage d’une prise en charge de proximité à une relation à distance à son médecin ou à un médecin spécialiste. Est-ce que cela dessine le modèle de prise en charge de demain ?
Agnès Buzyn : La télémédecine fait partie du panel de solutions que nous apportons aux problématiques d’accès aux soins. Le soin à distance est un recours précieux pour certaines situations spécifiques et pour certains cas de patients, mais ce mode de fonctionnement ne saurait répondre à l’ensemble des défis que rencontre notre système de santé.
Notre réforme « Ma Santé 2022 » que je viens de présenter comporte donc bien d’autres mesures qui tendent au contraire à renforcer le lien de proximité entre patients, médecins et territoires, notamment en encourageant les formes d’exercices collectifs comme les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé, les Maisons de Santé ou les centres de santé, par la création de la fonction d’assistants médicaux pour libérer du temps aux médecins, par la revalorisation des soins de proximité ou encore par la création du label « hôpitaux de proximité ».