« Une demi-heure de conversation active par jour est plus bénéfique pour le cerveau que de faire des sudoku»
Technologie
Dans le premier volet de leur série » regards de fabricants » sur le futur des technologies auditives, le BIHIMA (British Irish Hearing Instrument Manufacturers Association) a interviewé Thomas Behrens, audiologiste en chef et directeur du centre de recherches appliquées d’Oticon. Il estime que la santé du cerveau et les fonctions cognitives seront au cœur de la santé auditive dans les années à venir.
Audio Infos : Où réside selon vous le futur des technologies auditives ?
Thomas Behrens : Au cours des dernières années, nous avons pu démontrer que les technologies auditives pouvaient apporter des bienfaits nouveaux. Par le passé, on se concentrait exclusivement sur la compréhension de la parole et l’amplification du son, mais la perte auditive ne se résume pas uniquement à un problème d’audibilité, et aujourd’hui, on se concentre de plus en plus sur la réduction du niveau d’effort pour les personnes souffrant de perte auditive. Nous savons que cet effort réalisé par le cerveau peut être quantifié objectivement au travers de la pupillométrie (la mesure de la taille de la pupille dans l’œil, qui grandit lorsque le cerveau est soumis à un effort). Chez Oticon nous appelons cela l’audition cérébrale (« Brain Hearing »), et c’est aujourd’hui devenu la base de la stratégie de notre groupe. Ce n’est pas simplement quelque chose dont nous parlons, c’est le moteur de notre travail. Il faut comprendre que la perte d’audition est une pathologie complexe. Il peut y avoir cinq types de dommages différents au niveau de l’oreille interne, tous susceptibles d’être à l’origine de la perte auditive. Cependant, avec les méthodes diagnostiques actuelles, nous ne sommes pas toujours capables d’identifier la cause exacte (soulignons qu’améliorer les méthodes de diagnostique s’inscrit également dans nos recherches).
Ce que nous savons c’est que lorsque le cerveau fait trop d’efforts, il commence à compenser et tente de combler en devinant le sens, ce qui provoque un effort immédiat. Cela peut entraîner de la fatigue et peut pousser les gens à éviter les interactions sociales car ces dernières entraînent souvent un bruit de fond qui demande plus d’effort encore. Ce changement de comportement, cette isolation sociale, entraîne des effets importants en termes de déclin cognitif. Nous avons pu démontrer qu’à l’aide de nouvelles technologies permettant de réduire le niveau d’effort que doit faire le cerveau, en supprimant le bruit de fond, nous pouvons libérer des capacités cérébrales, avec une amélioration allant jusqu’à 25% de la mémoire.
Audio Infos : Cela rejoint toutes les publications scientifiques récentes qui relient perte auditive et démence, n’est-ce pas ?
Thomas Behrens : Nous n’avons pas encore de données suffisamment concrètes pour dire que la perte auditive à un lien de causalité direct avec d’autres problèmes de santé comme la démence et la dépression. La difficulté principale est que les études portant sur la démence qui nous en diront un peu plus prendront au moins dix ans avant d’avoir assez de données. Nous préférons parler du fait que la perte auditive provoque des changements de comportements qui, à leur tour, représentent des facteurs contributifs. Mais oui, nous devons envisager l’audition comme un problème de santé cognitive. Nous contribuons à la création de centres dans des universités qui se concentrent sur les sciences cognitives de l’audition. Puisque nous savons que l’audition permet d’entretenir les facultés cérébrales, alors, l’audition est un exercice pour le cerveau que nous devons maintenir.
Saviez-vous qu’une demi-heure de conversation active par jour est meilleure pour le cerveau que de faire des Sudoku ? Par là j’entends une conversation où nous écoutons activement, où nous interagissons avec notre interlocuteur, nous posons des questions, une conversation qui nous fait réfléchir. Voilà ce dont le cerveau à besoin. Dans ce contexte, la nouvelle technologie que nous avons développée peut libérer des ressources cognitives afin de mieux se concentrer sur le décodage social. Les participants de nos essais cliniques ont d’ailleurs signalé qu’ils distinguaient plus facilement les humeurs des autres, ce qui est important car les émotions sont transmises au travers de subtilités dans la parole.
Audio Infos : Quel est le rôle des technologies intelligentes dans la stratégie « Brain Hearing » ?
Thomas Behrens : Nous voulons exploiter des solutions intelligentes qui encouragent les gens à adopter des attitudes saines et à entretenir leurs facultés cérébrales. De plus, les technologies intelligentes informeront les utilisateurs de l’évolution de leur audition, et les aideront à exploiter au mieux toutes les fonctionnalités de leurs appareils. Dans nos recherches nous commençons à utiliser des appareils auditifs équipés de capteurs qui mesurent directement les réponses du cerveau et la charge cognitive. Par exemple, ces appareils seront capables de détecter si vous faites une sieste. Cette technologie pourra même être utilisée par les professionnels de santé pour le suivi à distance des personnes souffrant de perte auditive sévère, sans avoir besoin de rendez-vous présentiels. Cela pourra également être utilisé comme une interface cerveau-audition, ainsi, dès que le cerveau commence à forcer, la technologie s’adaptera automatiquement. Nous voulons exploiter au mieux ces opportunités digitales mais nous voulons aussi préserver le rôle des professionnels de la santé auditive, et continuer à nous concentrer sur le rôle des audiologistes.
Audio Infos : C’est un sujet important au regard des changements législatifs aux Etats-Unis rendant les appareils auditifs disponibles en vente libre…
Thomas Behrens: Nous avons l’intime conviction que les audiologistes doivent être au centre de la prestation de services auditifs. Nous avons une clinique de recherche en Afrique du sud où nous développons actuellement des bonnes pratiques pour les réglages de suivi à distance. Les audiologistes restent importants à cet égard, car ils savent tirer parti de toutes les fonctionnalités de ces technologies médicales de façon optimale pour chacun de leurs clients. Il faut une certaine expertise et des connaissances sur comment la perte auditive affecte le vécu de l’individu afin de mieux les guider.
Qui est l’association britannique et irlandaise des fabricants d’appareils auditifs (BIHIMA) ?
BIHIMA représente les fabricants d'aides auditives de Grande Bretagne et d’Irlande. L’association travaille en partenariat avec d’autres organismes professionnels, commerciaux, régulatoires ou de consommateurs dans les secteurs de la santé et des œuvres caritatives. Ils sensibilisent les consommateurs aux dernières nouveautés des technologies auditives dans le but d’influencer les organismes gouvernementaux et les décideurs afin d’améliorer la vie des personnes souffrant de perte auditive.
Pour plus d’information, rendez-vous sur leur site (en anglais) : www.bihima.com
Jemina Thackray, Bihima