Mylène Pardoen, archéologue des paysages son.

Portrait

Publié le 18 février 2019

Mylène Pardoen, archéologue des paysages son.

Audio infos: En quoi consiste votre métier ?

Mylène Pardoen : Je suis archéologue du paysage sonore, c’est-à-dire que j’étudie et j’analyse les sources qu’on qualifie d’hétérogènes. Ces dernières sont multiples, à la fois textuelles et visuelles. Elles me permettent de rechercher les traces du sonore du passé puisque, avant les années 1870, il n’existait pas de moyen d’enregistrement et de diffusion du son. Le passé étant « sonore », je suis confrontée à différentes problématiques : comment les Anciens traduisent les aspects sonores dans leurs documents et comment les retrouver? Mon travail consiste ensuite à proposer des modèles de restitution visuels et sonores adossés à des faits scientifiques. L’archéologie sonore est une discipline très récente et transdisciplinaire que j’ai créée puisque, jusqu’à présent, personne ne travaillait sur les aspects à la fois archéologiques et de restitution du passé sonore.

Dans le cadre de mes recherches exploratoires, je fais appel à d’autres disciplines telles que l’histoire, la sociologie, la géographie, l’urbanisme et l’archéologie. D’autres chercheurs peuvent mener une réflexion sur le son, mais pas forcément à grande échelle et, surtout, cela reste très ponctuel. Il ne faut pas oublier qu’en sciences humaines, le son est une matière que l’on découvre. Jusqu’à présent, c’était plutôt l’apanage des acousticiens, science dure avec des formules mathématiques, des recherches neurologiques également, mais les sciences humaines et sociales ne s’étaient pas vraiment penchées sur le sujet.

Quel est votre processus de travail lorsque vous abordez un projet à travers le prisme de l’archéologie des paysages sonores ?

M.P. : Le processus est identique, quel que soit le projet que je mène, que ce soit pour une maquette, pour une exposition temporaire ou pérenne, ou une illustration sonore. Il faut délimiter tous les périmètres : historique, temporel et géographique. Une fois que ces trois périmètres sont établis, on est obligé, à partir de ce cadre là, de se plonger dans les archives. Cette collecte est très importante et c’est un processus très long puisqu’il peut représenter jusqu’à 80 à 90 % du projet. Enfin, si on est sur un modèle «maquette», il faut que la partie sonore et la partie visuelle soient montées en concomitance.
C’est primordial, car autrement, cela peut donner l’impression que l’on sonorise un film muet, c’est-à-dire qu’il risque d’y avoir de petits décalages qui ne seront pas appréhendés par le cerveau comme une projection réelle. Or le but de l’archéologie des paysages sonores est de présenter quelque chose qui soit le plus proche d’une possible réalité dans laquelle on est immergée. Il faut donc qu’il y ait une adéquation entre ce que l’on va ressentir et ce que va analyser le cerveau. Quand je parle de «maquette», il s’agit bien d’une maquette digitale, qui est réalisée sur une plateforme de jeux vidéo. À partir de cette matrice digitale, en fonction des projets, on a la possibilité de décliner la maquette sur différents supports: par exemple, la projeter sur un bâti- ment ou bien en faire une application pour smartphone. Je m’entoure d’une équipe pour la réalisation de la maquette visuelle issue de l’univers des jeux vidéo, ainsi que d’un graphiste et d’un informaticien pour faire fonctionner mon projet.

Comment procédez-vous pour faire revivre les sons du XVIIIe siècle ?

M.P. : En ce que qui concerne les maquettes sonores et visuelles, pour l’instant, je m’occupe seule de la partie sonore. Il faut savoir que je ne recrée jamais les sons. Tous les sons que l’on entend dans une fresque sont des sons du passé qui sont encore dans notre présent, que l’on peut entendre aujourd’hui dans le cadre de l’artisa- nat par exemple.
Je vais donc sur le terrain à la recherche de ces sons. Il y a une double enquête à mener, à la fois dans le passé, pour savoir quels sons rechercher, et dans le présent, pour savoir où trouver les sons en question. C’est de plus en plus compliqué, car j’ai noté qu’en l’espace de cinq ans, il y a eu une augmentation de la pollution sonore. Par exemple, tous les moteurs, les climatisations, etc., ils vont forcément être enregistrés lors d’une captation sonore. Pour moi, ce sont des interférences.Encore une fois, je ne souhaite pas récréer les sons de toutes pièces, mais bien les enregistrer dans notre présent, car les sons ont une identité, une empreinte qui est leur est propre. Typiquement, la forge à trois marteaux, dite « forge à la française », consiste à forger un fer à cheval, travail qui est mené par trois forgerons pour mettre en forme une barre de fer.
La forge à la française se fait sans parler, les ordres sont donnés par le marteau. Le fichier son que je récupère possède ainsi une sémiologie du travail, le bruit du travail, donc le marteau sur le fer et sur l’enclume, mais surtout la matière qui se transforme et cela, les outils informatiques ne peuvent pas le recréer.

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