Quand la thérapie génique devient une utopie pour les patients

C'est sous le titre un peu provocateur de « Les rêves du patient de 2034 seront-ils les cauchemars de son audioprothésiste ? » que le Pr Paul Avan, directeur du Centre de Recherche et d'Innovation en Audiologie Humaine (Ceriah) et Vincent Krause, audioprothésiste directeur du pôle métier d'Audika, ont dressé un portrait de la patientèle de l'audioprothésiste du futur. Dans un premier temps, il convient de voir si les thérapies de la surdité, y compris les thérapies géniques, répondront demain aux rêves que les patients font aujourd'hui.

Nathalie Bloch-Sitbon, publié le 06 mars 2024

Quand la thérapie génique devient une utopie pour les patients

En audiologie, deux révolutions prennent actuellement de l’ampleur : le numérique, avec l’intelligence artificielle, et les authentiques thérapies, notamment avec le démarrage de la thérapie génique, qui permet pour la première fois une approche curative et plus seulement palliative.

Cette dernière pousse actuellement les patients à formuler parfois des fantasmes de guérison et, par conséquent, le rêve de ne plus avoir besoin de l’audioprothésiste. Cependant, en 2034, selon Paul Avan, la patientèle devrait encore être bien présente chez les professionnels.

Le chercheur témoigne ainsi : « Depuis 2 ou 3 ans, je reçois des lettres de patients qui m’écrivent : “Comme il va y avoir des thérapies, bien que j’aie besoin d’un appareillage, je ne vais pas le faire parce que je vais attendre de bénéficier d’une thérapie génique.” Plus particulièrement, certains disent : “Je ne veux surtout pas d’implant cochléaire, parce que ça risque de détruire mes cochlées ; je vais donc attendre une thérapie génique.” Je leur réponds, car je trouve ces courriers inquiétants. Je leur demande l’origine de leur surdité, si elle est génétique et, si oui, quel gène est en cause, mais aussi l’état de leur cochlée et, surtout, ce qu’ils comptent faire dans les 5 à 10 ans qui les séparent d’une thérapie appropriée. En général, je reçois une réponse qui me remercie de mes conseils, mais les patients restent sur leur position : ils préfèrent attendre. »

Futur cauchemar pour le patient ?

Paul Avan se désole de cette attitude préoccupante, car, pour le patient, c’est une perte de chance et un cauchemar qui va l’attendre à la fin de son rêve fou.

Le professeur fait alors un point sur la situation, listant les trois catégories de thérapies authentiques qui ont déjà fait leurs preuves sur l’animal : les thérapies géniques, les thérapies cellulaires et les thérapies médicamenteuses.

Il rappelle que si les essais donnent des succès remarquables sur les souris, il n’est pas évident de transposer ces résultats sur l’humain. « La plupart des gènes ont un rôle d’échafaudage dans la cochlée et, en l’absence de ces gènes d’échafaudage, la cochlée, l’organe de portée, ne se forme pas. Avec les souris, à la naissance, le développement est encore en cours. On a plusieurs jours pour substituer le gène défaillant avec le bon brin d’ADN qui va coder l’échafaudage. Toutefois, quand le bébé humain nait, cela fait déjà 3 mois que tout est perdu et que l’organe de Corti devrait déjà être parfaitement en place. Même dans un cas de surdité moyenne, la remise en fonction de la protéine ne permettra pas forcément de régler les problèmes », explique Paul Avan.

Bien sûr, il y a certaines exceptions, comme les patients dépourvus du gène codant pour l’otoferline, protéine essentielle à la transmission de l’information sonore au niveau des synapses des cellules sensorielles auditives. Les réussites récentes chez l’humain des essais de thérapie génique sur cette pathologie particulière ont été largement reprises dans la presse, atteignant le grand public et provoquant ainsi davantage de rêves et d’espoirs chez les malentendants. « La déficience congénitale en otoferline est un cas particulier de surdité, où tout fonctionne en amont comme en aval. Il suffit de remettre le contact. Si cette atteinte n’est pas une surdité congénitale rare, c’est quand même une surdité très peu fréquente. Je pense que la thérapie génique dans le cas de surdité congénitale ne va pas permettre tout de suite de réparer les déficiences in utero ! Ce n’est pas demain la veille qu’on va tenter des thérapies in utero, ce qui devrait limiter les espoirs dans un futur proche. Il faut aussi démontrer l’efficacité du traitement au cas par cas. Est-il suffisant de restaurer la moitié des connexions entre les cellules cillées et les neurones ? Probablement, mais cela reste à démontrer sur le long terme. Qu’en est-il des autres cas de mutation ? Est-ce qu’on aura la même efficacité ? », s’interroge le chercheur.

Plus de chances pour les troubles de l’équilibre

Paul Avan pense que les troubles de l’équilibre, parfois associés aux troubles auditifs, pourront être plus facilement traités, même après la naissance, parce que le vestibule est un organe rustique. Il n’a pas besoin de la même finesse architecturale que la cochlée. Cependant, on ne sait pas quand cela sera possible. On rencontre aussi les surdités liées à l’âge, d’origine monogénique, comme la presbyacousie précoce. « Il n’y a pas moins d’une vingtaine de gènes potentiellement responsables. Est-ce qu’il va y avoir des laboratoires pour développer des thérapies pour chacun de ces gènes ? Qui va financer ? », se demande Paul Avan.

Le chercheur évacue rapidement les thérapies cellulaires pour lesquelles il affirme qu’« il ne faut pas se faire d’illusions, on est encore très loin de pouvoir les mettre en œuvre et de pouvoir en mesurer la durabilité et la sécurité ». Il est en revanche plus positif sur les approches pharmacologiques. « C’est surement une révolution qui se prépare et j’y crois pour les traumatismes sonores aigus, qui sont un pourvoyeur inquiétant de surdité de l’adulte. » Encore faut-il mettre en œuvre un repérage précoce dès la sortie d’un concert, par exemple, à la moindre sensation d’une oreille bougée. Actuellement, le traitement se fait par corticoïdes par voie générale, et souvent quelques semaines après l’évènement. Paul Avan est prêt à parier sur des avancées majeures et rapides sans que cela représente une frange importante des patients sourds et malentendants.